Du Faux Gras pour Mauricio : le produit et l’omni 100% polémiques

4062677013_09ec3af208_bLe jeudi 3 novembre 2016, l’association française L214 dévoile les images de sévices sur animaux au sein de l’abattoir de Limoges. On y voit des coups d’aiguillons électriques dans les yeux de bovins, des étourdissements ratés et, surtout, des abattages de vaches gestantes, dont les veaux sont ensuite jetés aux ordures. Les images d’horreur encore en tête, leur association avec le Faux Gras mentionné dans le titre n’est sans doute pas évidente. Alors, où est le lien ?

C’est la septième fois que L214 diffuse les résultats d’une enquête dans un abattoir. Mais contrairement aux autres investigations, le lanceur d’alerte témoigne cette fois-ci à visage découvert. Il s’agit d’un Espagnol de 47 ans, Mauricio Garcia-Pereira, qui s’avère être un employé de l’abattoir depuis 7 ans.

On s’imagine facilement tout le courage qu’il a fallu à cet homme pour, premièrement, abattre ce travail qu’il juge lui-même « affreux et criminel », et, ensuite, filmer en caméra cachée des tâches telles le tranchage de l’utérus des vaches pour en sortir les cadavres des veaux. Pour lui, l’enquête est un point de non retour.

Selon le portrait que la presse dresse de lui (notamment ici, ici et ici), Mauricio Garcia-Pereira a accepté ce travail d’employé d’abattoir par nécessité financière. Sincèrement écœuré par les pratiques qui y ont cours et incapable de les assumer plus longtemps, il décide d’alerter L214. Pourtant, il n’est pas un militant de la cause animale, et il est encore moins végétarien. Il n’empêche que grâce à son témoignage et à son action, l’impact de Mauricio Garcia-Pereira en faveur des animaux est gigantesque : il contribue fortement à la pression qui est exercée sur les élus français, et il ouvre les yeux de dizaines de milliers de personnes sur la réalité des abattoirs.

En clair : un employé d’abattoir qui se définit comme carnivore risque bien de sauver d’un coup bien plus d’animaux que n’importe quel végane jusqu’au-boutiste ne le fera dans sa vie.

[Ce que la phrase précédente ne veut pas dire :
  • qu’un mode de vie végane n’est pas une nécessité pour parvenir à un monde où les animaux ne sont plus considérés comme des commodités ;
  • que Mauricio Garcia-Pereira n’épargnerait pas plus d’animaux encore en devenant végétarien ou végane ;
  • que l’auteur de l’article est un abominable spéciste doublé d’un néo-welfariste collabo.]

Le constat que j’en tire est le même que dans pratiquement tous les articles publiés sur ce blog : si le but du mouvement pour les animaux est d’empêcher que les animaux ne souffrent de la main de l’humain (je synthétise), le seul critère pertinent pour évaluer la validité d’une action est son impact dans le monde réel.

Cet article entre en fait en continuité avec ce billet de l’activiste Matt Ball, intitulé « Est-ce que c’est végane ? » Avec la cause des animaux comme seul point de mire, il nous encourageait à abandonner notre vaine recherche de pureté végane pour nous concentrer sur plus important : comment venir efficacement en aide aux milliards d’animaux tués chaque année pour le profit. Il apparaissait qu’essayer d’établir une définition pointilleuse du véganisme n’était pas forcément le meilleur moyen.

Le cas de l’abattoir de Limoges permet donc d’illustrer le raisonnement suivant : si, pour épargner les animaux, le choix de ne consommer aucun ingrédient d’origine animale est évident et nécessaire, dans certains cas, ce n’est pas pour autant le facteur le plus efficace. Bon, je n’invente rien, l’activiste Tobias Leenaert en parle ici (en anglais) et mon article précédent l’évoquait aussi.

Où est-ce que je veux en venir ? Évidemment, tout le monde n’a pas la possibilité d’aller filmer en caméra cachée dans un abattoir pour sauver plus d’animaux encore que par la rigueur de son alimentation. Mais au quotidien, il y a des choix que nous faisons en tant que végétariens ou véganes qui peuvent parfois aller à l’encontre de cette réflexion. Un exemple récent ? Le cas du Faux Gras de GAIA.

En octobre 2016, une polémique agite les groupes militants sur les réseaux sociaux : le Faux Gras de GAIA, une alternative végétale au foie gras vendue dans la grande distribution, contient de la truffe à hauteur de 1 %. Or la truffe est récoltée à l’aide de chiens, dont le flair permet la détection du champignon enfui dans le sol. De fait, stricto sensu, le produit n’est pas végane. S’ensuit alors une campagne intensive d’appel au boycott du Faux Gras, relayée par une certaine frange de militants véganes. Résultat : la boutique Un Monde Vegan, un des importateurs du Faux Gras en France, cède face à la pression et supprime le produit de son catalogue.

Je ne m’attarde pas longtemps sur l’aspect fortement arbitraire de cette focalisation sur la truffe – on sait par exemple que les végétaux biologiques sont souvent cultivés à l’aide de fumier ou que la production céréalière entraîne la mort d’innombrables rongeurs dans les champs. Même si ce n’était pas le cas, je considère que cet appel au boycott est très problématique. Et l’argument selon lequel « on ne combat pas une exploitation par une autre » me semble, dans ce cas-ci, bien trop rhétorique, idéologique, théorique, et finalement nocif. J’y réponds de deux manières : pragmatiquement et stratégiquement.

Pragmatiquement, en plus d’avoir le potentiel de se substituer au foie gras, le Faux Gras est un vrai outil de sensibilisation. Rien qu’en France, le foie gras est responsable du gavage forcé de 40 millions de canards chaque année, dans des souffrances bien connues. Le Faux Gras, qui contient 1 % de truffes trouvées par des chiens baladés en forêt, s’adresse directement aux personnes qui en consomment – pas aux véganes. Or en Belgique, il est vendu dans la quasi totalité des supermarchés et rencontre déjà un franc succès. En appliquant un calcul coût-bénéfice, aide-t-on davantage les animaux en promouvant ou en dénigrant ce produit ?

Stratégiquement, le Faux Gras est une formidable porte d’entrée pour les omnivores qui voudraient s’essayer à remplacer la viande pour la première fois. Intuitivement, on pourrait croire que l’être humain a toujours tendance à modifier son comportement après avoir changé d’opinion. Grâce aux recherches en psychologie, on sait que l’inverse est peut-être encore plus fréquent : c’est parce que j’ai modifié mon comportement (pour X ou Y raison) que mon opinion évolue. Dans ce cas-ci : un omnivore qui s’essaie au Faux Gras parce que le gavage « c’est pire que tout » verra vraisemblablement d’un œil sensiblement nouveau les substituts végétaux et l’alimentation végétarienne.

Bien sûr, l’exemple de l’abattoir de Limoges et celui du Faux Gras diffèrent sur bien des points. Mais je pense qu’ils illustrent tous les deux assez bien pourquoi, dans certains cas, une approche dogmatique du véganisme peut faire plus de tort que de bien.

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